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Juillet 2019

 

Nicola est le propriétaire d’un restaurant au bord de la faillite. Surendetté, interdit bancaire, il subit de plein fouet la récente installation d’un concurrent en face de son établissement. La perspective d’un repas de mariage est son dernier espoir. Son employée, Beatrice, est mariée à Roméo. Celui-ci, la soupçonnant d’être infidèle, semble avoir perdu la raison. Ginevra, la cuisinière, et son mari Georgio assistent impuissants à la scène.

 

Est-on responsable des actes que l’on commet par hasard ? Pire, est-on responsable de ceux auxquels on songe sans les réaliser ? Faux semblants, trahisons, pensées inavouées, exigence de vérité : la pièce de Pirandello, passionnante, pose un regard très sombre sur l’âme humaine. Roméo résume : « On passe sa vie à fuir, et puis on se rend compte qu’on n’est pas allé très loin. » Chacun des personnages se débat dans ses contradictions, sans parvenir à trouver la paix.

 

La mise en scène de Fabio Gorgolini, très réaliste, insuffle un rythme idéal au spectacle : l’action est menée tambour battant sans jamais sacrifier les enjeux dramatiques. Les cinq comédiens du Teatro Picaro sont parfaits. Passant très subtilement de la comédie au drame, « La fuite » est un excellent moment de théâtre.

 

 

Y. A.

 

« La fuite », festival off d’Avignon, théâtre de l’Alizé, 17h20 (1h20).

 

Juillet 2019

 

Si loin, si proches

 

Un foyer d’hébergement d’urgence perdu dans la banlieue nord. Emmanuelle (Christine Citti), comédienne, s’y rend pour animer un atelier théâtre. L’accueil est glacial : « J’aime pas le théâtre. » lance l’un, « T’as joué dans rien, c’est pour ça que t’es là. » poursuit un autre. Pendant plusieurs semaines, Emmanuelle persévère, en vain : « La plupart du temps, ils ne me parlaient pas, ne me regardaient pas. »

 

Créer une œuvre de fiction à partir de son expérience personnelle et transformer un échec en réussite : tel est le projet de Christine Citti. Violence familiale, déscolarisation, drogue : cette jeunesse-là est mal partie. Démunis, les éducateurs ne peuvent plus faire face : « Le foyer est un lieu de contagion. (…) Pas un lieu de paix. »

 

Faisant très intelligemment un pas de côté, le spectacle dit aussi la difficulté de faire bouger les lignes. La présence lumineuse de Christine Citti, témoin effarée d’une jeunesse qu’elle ne connaît pas et a du mal à comprendre, illustre la distance qui les sépare. Nouer un contact, instaurer la confiance, s’avère quasiment impossible. La mise en scène de Jean-Louis Martinelli anime en permanence le plateau sans jamais parasiter l’action. Criants de vérité, les comédiens sont tous excellents. Un spectacle important, qui constate aussi, hélas, que l’art ne peut pas toujours changer le monde.

 

 

Y. A.

 

« Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner », festival off d’Avignon, théâtre des Halles, 11h.

 

Juillet 2019

 

La veille de ses noces, Jan, un jeune et beau paysan, se voit remettre deux lettres prouvant l’infidélité de sa future épouse. Les noces sont rompues. Jan, toujours amoureux, sombre dans la neurasthénie.

 

« L’arlésienne », une des nouvelles des « Lettres de mon moulin » (1869), devint une pièce de théâtre en 1872. L’adaptation d’Anne Girouard et Sébastien Davis (qui s’appuie sur ces deux versions et d’autres récits de Daudet) se révèle très théâtrale : le texte séduit par l’élégance de sa langue et sa force dramatique. Anne Girouard, qui en incarne tous les personnages, est lumineuse.

 

La musique de scène de Bizet, jouée en direct par l’ensemble Agora, vient ponctuer le récit. Quelle heureuse idée ! Les six instrumentistes – Catherine Puertolas (flûte), Rémy Sauzedde (hautbois), Sandrine Pastor (clarinette), Cédric Laggia (basson), David Pastor (cor) et Sophie Bellanger (harpe) – sont excellents. L’équilibre entre verbe et musique, subtil, trouve son apogée dans une fin particulièrement poignante.

 

 

Y. A.

 

« Heureusement qu’on ne meurt pas d’amour », festival off d’Avignon, théâtre du Girasole, 11h15 (1h).

 

Juillet 2019

 

Lorsqu’elle arrive à Paris à vingt ans pour devenir artiste, Dominique Blanchard est loin d’imaginer rencontrer son père, qu’elle n’a jamais vu. Habitant à Montmartre, elle croise régulièrement – notamment au Lux bar – Bernard Dimey, une des figures du quartier. Par curiosité, elle va l’applaudir salle Pleyel en avril 1978. Bernard et Dominique font alors connaissance…

 

Émaillé de poèmes et de chansons, le spectacle de Dominique Dimey voyage dans l’œuvre tantôt poétique (« Syracuse », « L’enfant maquillé ») tantôt caustique (« Les pauvres ») d’un artiste injustement méconnu. La relation hors norme qui les unit jusqu’à la mort du poète en 1981 est évoquée avec pudeur : « On s’est apprivoisés. On s’est fait du bien. ». Peu importe que la mise en scène de Bruno Laurent manque un peu d’inventivité : le choix des textes est intelligent et leur enchaînement fluide. Accompagnée au piano par Charles Tois (excellent), Dominique Dimey est lumineuse. Un bel hommage.

 

Y. A.

 

« Bernard Dimey père et fille, une incroyable rencontre », festival off d’Avignon, théâtre le Cabestan, 12h10 (1h10).

 

Juillet 2019

 

« Je suis une femme d’une famille de femmes, fille unique d’une femme qui m’a élevée seule. » Ainsi commence le seul en scène que Fanny Cabon consacre à la lignée qui l’a accompagnée et élevée. Sa grand-mère a eu sept enfants, dont six filles. Chacune raconte sa vie, les grossesses à répétition, les avortements fréquents et souvent dangereux. Jacqueline y a déjà eu recours cinq fois. Micheline a tellement peur de tomber enceinte qu’elle s’évanouit lorsque son mari s’approche. Monique a failli mourir lors d’une intervention. Yvonne écrit son désespoir à son curé : enceinte pour la neuvième fois en douze ans de mariage, elle ne supporte plus ses enfants. Jeanine est devenue faiseuse d’anges, pour elle d’abord, puis pour ses sœurs et ses voisines.

 

Fanny Cabon a su trouver le ton juste pour évoquer le parcours de femmes ordinaires, à une époque où l’avortement était illégal, l’église et les médecins hostiles à toute forme de contraception. Chacune nous touche, dans son désespoir ou sa volonté de vivre. Jamais moralisateur, évitant tout pathos, le texte fait parfois froid dans le dos. La mise en scène de Bruno de Saint Riquier, inventive et très élégante, sert le propos sans jamais l’alourdir. La qualité d’écoute du public et l’émotion de certaines spectatrices à l’issue de la représentation ne trompent pas : « Gardiennes » est un témoignage important, sur un sujet difficile mais essentiel.

 

Y. A.

 

« Gardiennes », festival off d’Avignon, théâtre des 3 soleils, 20h.

 

Juillet 2019

 

De Mireille (1906-1996), tout le monde connaît « Le petit chemin » ou « Couchés dans le foin », coécrits avec Jean Nohain. On sait aussi qu’elle anima, à la radio puis à la télévision, « Le petit conservatoire de la chanson » qui révéla notamment Yves Duteil, Françoise Hardy et Pierre Vassiliu. On ignore davantage sa carrière aux États-Unis, ses compositions pour Yves Montand ou Henri Salvador… et ses quarante ans de mariage avec le philosophe et historien Emmanuel Berl.

 

Évoquant un temps « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », le spectacle de Marie-Charlotte Leclaire et Hervé Devolder rend un hommage pétillant et attendri à celle qui « fit entrer le swing dans la chanson française ». De très élégants arrangements, parfois joués au piano à cinq mains, rythment cette évocation. Aux côtés d’Hervé Devolder et Adrien Biry-Vicente, toujours impeccables, Marie-Charlotte Leclaire incarne le rôle-titre avec panache. Elle en a l’entrain, la gouaille, l’humour. Le spectacle est drôle, enlevé : on sort du théâtre le sourire aux lèvres, en fredonnant.

 

 

Y. A.

 

« La grande petite Mirelle », festival off d’Avignon, Essaïon, 20h30.

 

Juillet 2019

 

Dès le matin, le temps est compté pour le jeune préposé au courrier (Cédric Vernet) : les premiers colis arrivent, à peine son café bu. Réception, recensement, examen, affranchissement, expédition… La routine interdit toute fantaisie, tout écart. Seuls les instants de pause permettent d’imaginer un ailleurs, de rêver un peu. Alors qu’il égrène avant de s’endormir une liste de projets qu’il ne réalisera sans doute jamais, l’employé découvre un soir un colis en souffrance…

 

Est-il possible de vivre ses rêves ? Le spectacle de la compagnie « La mécanique du fluide » répond joliment à une question souvent abordée : partager ses rêves avec quelqu’un est, peut-être, plus important que de les accomplir. On est loin de l’injonction de tout abandonner pour changer de vie ; la fin du spectacle reste très ouverte.

 

« Vole ! » convainc également par l’inventivité de sa scénographie (David Lacomblez). Comédien et marionnettiste, Cédric Vernet incarne avec humanité les deux personnages de cette aventure. Un moment de théâtre inventif et délicat.

 

Y. A.

 

« Vole ! », festival off d’Avignon, Bourse du travail CGT, 11h.

 

 

Juillet 2019

 

« C’étaient trois garçons : deux moyens, et un un peu plus que moyen. » ; et une fille, « la plus jolie et la plus intelligente ». Charles, Melvil, Angelo et India se rencontrent à l’école primaire. Ils ont neuf ans. Jusqu’au déménagement de la jeune fille six ans plus tard, ils seront inséparables, comme « les quatre mousquetaires, les quatre fantastiques ou les quatre doigts d’une main mutilée ». Les garçons sont amoureux d’India qui les met au défi de réaliser pour elle les douze travaux d’Hercule.

 

Original dans sa construction – notamment des premières scènes, fragmentaires comme le sont les réminiscences –, universel dans ses enjeux dramatiques, le texte de Fabrice Melquiot est passionnant. S’appuyant sur l’image du labyrinthe (métaphore d’une mémoire incertaine) et le mythe d’Hercule, l’auteur aborde avec tendresse et humour la solitude de l’enfance et l’importance parfois vitale de ses amitiés. Les souvenirs affleurent, réels ou fantasmés. India résume joliment : « Quand on raconte un souvenir, quelques fois on l’invente ».

 

Scénographie (Khaled Khouri), création lumière (Rémi Furrer) et sonore (Simon Aeschimann) très inspirées, créent un espace de jeu élégant et mystérieux. Dirigés par Mariama Sylla, le quatuor d’interprètes (Hélène Hudovernik, Miami Themo, Raphaël Archinard et Julien George) porte avec ferveur et simplicité cette promenade dans l’enfance d’une grande intelligence.

 

Y. A.

 

« Hercule à la plage », festival off d’Avignon, le 11, 10h10 (1h).

Le spectacle sera repris au théâtre de la Ville (Paris) du 24 avril au 3 mai 2020.

Juillet 2019

 

Une petite ville est menacée par la montée des eaux. Bien que les immeubles aient été régulièrement rehaussés, ses habitants sont partis. Reste un vieux monsieur, veuf, qu’une maladresse va contraindre à plonger (au propre comme au figuré) dans son passé.

 

Le spectacle de la Compagnie Spectabilis, adapté du court métrage d’animation éponyme de Kenya Hirata et Kuniô Kato, nous captive sur la forme comme sur le fond. Le propos, métaphorique, est touchant : le personnage, à mesure qu’il s’enfonce dans l’eau, remonte le temps et revit les moments forts de sa vie, de son veuvage à ses premiers élans amoureux. La mise en scène d’Odile Bouvais est un enchantement. Empruntant à plusieurs techniques (théâtre d’ombres ou d’objets, marionnettes, vidéo…), l’illustration est délicate, jamais parasitaire, et d’une grande inventivité. Ce voyage poétique est servi par une jolie création musicale (Olivier Algourdin) et trois comédiens – manipulateurs très élégants (Cécile Schletzer, Olivier Algourdin et Régis Huet) : courez-y !

 

Y. A.

 

« La maison en petits cubes », festival off d’Avignon, Girasole, 10h (45 min).

 

 

 

Juillet 2019

 

Suite au décès accidentel de son père André, Thomas se retrouve seul à gérer l’exploitation agricole. Sa sœur Karine, partie depuis plusieurs années à Paris pour ses études, revient pour les obsèques. Entre les prêts contractés par André, les subventions qui ne sont pas versées et la difficulté du travail, Thomas s’épuise.

 

Écrit par Mélanie Charvy et Millie Duyé suite à une résidence dans le Cher, le texte aborde le désespoir d’un monde agricole exsangue et la difficulté de redynamiser les petites communes. Face à la disparition des services publics et des emplois aidés, la pesanteur de la bureaucratie et l’absence d’action politique nationale, la municipalité se démène, souvent en vain. Tentation de l’extrême droite, dégoût du monde politique ou recours à la violence : les différentes issues suggérées par la pièce sont sans grand espoir.

 

Une nouvelle fois, la compagnie des Entichés séduit par la qualité de son travail : scénographie (Marion Dossikian), création lumière (Orazio Trotta) et sonore (Timothée Langlois), très cohérentes, créent un univers quasi-cinématographique. Les comédiens (Aurore Bourgois Demachy, Charles Dunnet, Virginie Ruth Joseph, Clémentine Lamothe, Aurélien Pawloff, Romain Picquart, Loris Reynaert), sont tous excellents. Certes, le sujet est connu – et de plus en plus souvent traité. Mais qu’une (encore) jeune troupe s’en empare est un acte important.

 

Y. A.

 

« Échos ruraux », festival off d’Avignon, théâtre du Train Bleu, 10h, jours pairs (1h15).

 

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