LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Aug 31, 2020
Ils étaient trois
Le titre original du dernier roman de Richard Russo, « chances are… », tiré des paroles d’une chanson de Johnny Mathis, place d’emblée le roman sous le signe de la nostalgie. Il entrelace les voix de trois vieux amis, Teddy, Lincoln et Mickey, qui se sont rencontrés à l’Université de Minerva sur la côte Est. C’est leur statut social qui rapproche les étudiants aux personnalités très différentes. Boursiers, ils travaillent comme serveurs dans la sororité des Theta où ils fréquentent la fascinante Jay dont ils sont tous trois amoureux. À 66 ans, ils se retrouvent sur l’île de Martha’s Vineyard où Lincoln possède une maison familiale qu’il a l’intention de vendre. Dans cette maison qui appartenait à sa mère, les trois compagnons ont vu Jay pour la dernière fois avant sa disparition, lors de quelques jours passés sur l’île à la fin de leurs études. Entre souvenirs et enquête, les trois hommes s’interrogent sur leurs choix de vie et sur leur amitié.
Le roman s’ouvre sur un tirage au sort très symbolique : celui de la première conscription pour le Vietnam, le 1er décembre 1969. Le facteur chance, plus que les choix peut-être, est intimement lié aux parcours de vies : la chance de ne pas être tiré au sort ce jour-là, ou celle d’être choisi par Jay. C’est donc l’évènement originel autour duquel tout semble se cristalliser, et à partir duquel la mémoire des personnages travaille. L’enquête oscille ainsi entre intrigue policière et interrogation sur ce qui fonde une trajectoire. Richard Russo excelle à créer une atmosphère étrange et poétique. Le récit mêle des thématiques extrêmement variées qui s’entrelacent harmonieusement. Amitié, politique, maladie, folie ou filiation forment un récit foisonnant. Ode à l’amitié plus qu’à l’amour, « Retour à Martha’s Vineyard est un roman idéaliste, et surtout très humain.
A.K.
Richard Russo, « Retour à Martha’s Vineyard » (« Chances are… »), traduit de l’anglais par Jean Esch, Éditions de la Table Ronde, « Quai Voltaire », 2020, 380 p.