LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Sep 22, 2025
Qui veut la peau de la Joconde ?
En 1998, alors que le musée du Louvre réfléchissait à un nouvel espace pour exposer la Joconde, Le Journal des Arts (28 août 1998) ouvrait le débat : faut-il restaurer le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci ? Les problématiques évoquées par l’article – présenter les œuvres dans l’état le plus proche de celui que recherchait l’artiste ou ne pas bouleverser l’image mythique de l’œuvre dont se détacherait difficilement le public – sont au cœur du premier roman de Patrick Saint-Bris.
Aurélien, jeune conservateur du département des peintures classiques au Louvre, est chargé par la présidente du musée de diriger la restauration de la Joconde. Car telle est la solution trouvée par un cabinet de conseil pour augmenter la fréquentation du Louvre : faire retrouver à Monna Lisa ses couleurs vives pour créer l’événement. Aurélien doit alors faire face aux polémiques et trouver une juste mesure dans « l’allégement des vernis » pour une restauration réfléchie. Un restaurateur italien, Gaetano Casani, est choisi pour ce travail délicat et sous haute surveillance. Au fil des semaines, son comportement devient de plus en plus étrange…
L’auteur s’amuse avec le genre de la dystopie, imaginant un monde où le Louvre est dirigé par une experte en marketing et communication et l’art dominé par la tyrannie de l’image. Tout cela n’est pas si loin de la réalité, ce qui rend le roman d’autant plus réjouissant. Dans cette satire de notre société, les personnages sont particulièrement bien croqués. Aurélien, en jeune conservateur brillant mais un tantinet naïf, dépassé par le monde qui l’entoure, Daphné, en directrice-manageuse cynique, symbole du capitalisme, ou Gaetano, en inquiétant génie de la restauration.
Rien n’est foncièrement original, mais tout divertit. Le ton est léger, le style vif, et l’intrigue – le dénouement en particulier – fait mouche. L’enjeu n’est pas tant de décrire le monde de l’art que de jouer sur les clichés véhiculés par une société de l’image. Car l’art, finalement, est lui aussi image.
A.K.
Paul Saint Bris, « L’allègement des vernis », Philippe Rey, 2023, 352 p.
