LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Oct 31, 2024
Si la Géorgie m’était contée
Alors que l’on parle à nouveau de la Géorgie à l’occasion des élections législatives d’octobre dernier, « La huitième vie » de l’écrivaine Nino Haratischwili offre un regard fascinant sur ce pays qu’elle a quitté pour l’Allemagne, comme sa narratrice Niza Jashi. Niza, dont le prénom contient le mot « za », « ciel » en géorgien, retrace à travers une vaste saga l’histoire de sa famille, de son aïeul chocolatier à sa nièce Brilka, de l’aube du 20e siècle aux années 1990. Entre la fable et le drame, un siècle d’histoire géorgienne nous est narré, constitué d’autant de récits que les fils du tapis de Stasia, la grand-tante de la narratrice.
Depuis l’arrière-grand-père inventeur d’une maléfique recette de chocolat, le roman construit des figures originales et attachantes : Stasia, qui rêve de danser à Paris avec les Ballets russes mais dont les espoirs seront brisés par la guerre et la révolution, sa sœur Christine à la fascinante beauté, la poétesse Sopio, Kostia et son ami George, âmes noires de la dictature communiste, la sœur de Kostia, Kitty, victime en fuite du régime et chanteuse à succès. Bercée dans son enfance par les récits enchanteurs de Stasia, la narratrice n’a de cesse de les faire revivre, dans un roman dont la magie tragique n’est pas sans rappeler « Mensonges et sortilèges » d’Elsa Morante ou « La storia », par son épaisseur historique.
L’histoire des Jashi est en effet intimement liée à un siècle de communisme, dans un pays que le lecteur occidental connaît sans doute moins que sa vaste voisine. Domination soviétique, deuxième guerre mondiale, purges et répressions, révoltes avortées jusqu’à l’effondrement de l’URSS, sont autant d’événements qui constituent la toile de fond du récit, mais à partir d’un point de vue décentré qui fait toute l’originalité du roman.
« La huitième vie » est aussi un roman d’apprentissage tendre et nostalgique, celui de générations successives qui se heurtent à la malédiction familiale – en réalité surtout celle d’une époque marquée par les guerres et la violence de la dictature communiste.
A.K.
Nino Haratischwili, « La huitième vie (pour Brilka) », traduit de l’allemand par Barbara Fontaine et Monique Rival, Folio, 2021, 1200 p.