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Lion Feuchtwanger, « Les enfants Oppermann »

Apr 12, 2023

Un regard d’une grande lucidité sur les années 1930 en Allemagne

« Les enfants Oppermann » paraît en 1933 et constitue le deuxième volet d’une trilogie sur la montée du nazisme en Allemagne, « Wartesaal Trilogie » (La trilogie de la salle d’attente), après « Erfolg » (Le succès), en 1930, et avant « Exil » en 1940. L’auteur, Lion Feuchtwanger, s’était fait connaître par son roman historique « Le juif Süss » qui connut un succès international en 1925 et fut ensuite détourné par le film antisémite de propagande nazie de Veit Harlan en 1940.

Aux côtés de Thomas Mann ou de Bertolt Brecht, avec lequel il collabora pour la revue allemande des écrivains exilés, « Das Wort », Lion Feuchtwanger s’exile en France en 1933 après avoir été déchu de sa nationalité par le régime nazi. Enfermé au camp des Milles en mai 1940, il réussit à s’enfuir et gagne l’Amérique où il restera jusqu’à sa mort en 1958.

L’écrivain jouissait d’une reconnaissance internationale dans les années 20-30 et a joué un rôle important dans la littérature de langue allemande de la République de Weimar. Il a fait évoluer le roman vers le courant de la Nouvelle Objectivité, entre littérature et narration historique, rendant compte avec une grande acuité des événements contemporains. On peut donc s’étonner que la plupart de ses romans ne soient pas disponibles en français et qu’il soit tombé, en France, dans un oubli relatif. C’est dans ce contexte que les éditions Métailié proposent une nouvelle traduction des « Enfants Oppermann » par Dominique Petit.

Le roman débute en novembre 1932 et s’achève en 1933, après la prise de pouvoir d’Hitler. À partir d’une famille de la grande bourgeoisie juive berlinoise, les Oppermann, marchands de meubles estimés, l’écrivain retrace avec précision l’accession au pouvoir des nazis et l’angoissante montée, au sein de la population, de l’idéologie des völkisch [1]. Martin Oppermann, à la tête de l’entreprise familiale, est contraint de céder la maison à son concurrent. Son frère Gustav, représentant de l’intelligentsia berlinoise, ouvre peu à peu les yeux sur la nécessité de l’engagement, quand beaucoup d’intellectuels restent passifs ou se laissent séduire par les idées nationalistes et antisémites. On suit également la trajectoire du jeune Berthold, fils de Martin, qui engage une lutte symbolique avec son professeur principal nazi autour de thématiques littéraires. Cette intrigue, particulièrement fine, est glaçante, et les confrontations entre l’enseignant et le directeur du lycée, philologue libéral, passionné de littérature allemande, sont d’une grande subtilité.

L’écriture est à la fois intimiste et extrêmement réaliste. Par l’utilisation du style indirect libre, l’auteur passe des pensées d’un personnage à un autre, décortiquant les sentiments et les idéologies des protagonistes, miroirs de la société allemande de l’époque. Le roman, divisé en deux livres, « Hier » et « Demain », fait preuve d’une remarquable lucidité sur les années 1930. On peut ainsi saluer l’entreprise éditoriale des éditions Métailié, qui vient réparer une regrettable lacune dans l’histoire littéraire et espérer que le reste de l’œuvre sera également traduit.

A.K.

[1] Dans les années 30 en Allemagne, l’adjectif völkisch (littéralement « populaire », « lié au peuple ») désigne le mouvement populaire ayant adhéré à l’idéologie nazie.

Lion Feuchtwanger, « Les enfants Oppermann » [Die Geschwister Oppermann. Roman], éditions Métailié, traduit par Dominique Petit, coll. « Bibliothèque allemande », dirigée par Nicole Bary, 2023, 400 p.

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