LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Nov 18, 2025
« On ne tue pas le peuple dans son lit »
En avril 1834, sous le gouvernement de Louis-Philippe, des émeutes éclatent à Paris en réaction aux mesures anti-ouvrières et anti républicaines. Sous les ordres d’Adolphe Thiers, alors ministre de l’intérieur, la répression est sanglante. Le 14 avril, l’armée pénètre au 12 de la rue Transnonain – aujourd’hui rue Beaubourg – et massacre les habitants, hommes, femmes, enfants et vieillards. Daumier en tirera une célèbre caricature.
Dans « L’affaire de la rue Transnonain », Jérôme Chantreau se saisit de ce fait divers pour décrire le Paris de l’époque, en partant de personnages réels : Louis Breffort, accusé d’avoir tiré sur un capitaine et ainsi provoqué la répression de l’armée, Annette Vacher, sa maîtresse, prostituée et témoin clé des événements, ou encore Suzanne Voilquin et Claire Démar, féministes proches des milieux saint-simoniens. L’écrivain s’appuie par ailleurs sur une documentation importante, articles de presse, essais historiques, Mémoire du jeune avocat Ledru-Rollin sur les faits.
Jérôme Chantreau se revendique à la fois de Hugo et d’Ellroy. De l’univers hugolien, on retrouve la description des bas-fonds parisiens, de la prostitution, de l’atmosphère du Paris pré-haussmannien, avec ses odeurs et sa saleté, mais aussi le personnage de Joseph Lutz, policier et avatar du célèbre Vidocq. D’Ellroy, il reprend le langage cru de la criminalité et de la violence et l’ambivalence d’une figure comme celle de Lutz, complexe et torturé mais pour lequel la rédemption reste possible.
La violence politique elle, est condamnée sans appel. Adolphe Thiers apparaît comme un mauvais orateur devenu un redoutable politique, prêt à tout pour préserver le pouvoir, jusqu’à cautionner un massacre symbolique programmé pour étouffer la révolte populaire.
Le récit, vaste fresque très romanesque, propose une description ambitieuse de l’époque, trop peut-être. Pouvoir, émeutes, criminalité, prostitution, féminisme, saint-simonisme, homosexualité… À vouloir se saisir de tous les aspects de l’époque, le roman perd en force et en crédibilité. Il propose toutefois au lecteur un riche et intéressant tableau du 19e siècle.
A.K.
Jérôme Chantreau, « L’affaire de la rue Transnonain », édition La Tribu, 2025, 468 p.
