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Gabriele Tergit, « Les Effinger, une saga berlinoise »

Dec 12, 2023

Un concentré d’Histoire

Souvent comparée aux Buddenbrook de Thomas Mann, la saga des Effinger, restée inédite en France, paraît dans une traduction de Rose Labourie aux éditions Christian Bourgeois. Écrit en partie pendant l’exil de l’auteure, le livre est publié en Allemagne en 1951 mais rencontre peu d’échos. Il est redécouvert en 2019.

Gabriele Tergit s’inspire en effet de sa vie pour narrer l’histoire d’une famille juive à Berlin de 1870 à 1948. À partir de l’alliance des deux frères Effinger, Paul et Karl, issus d’une lignée populaire du sud de l’Allemagne, avec les banquiers Oppner-Goldschmidt, on suit trois générations, du règne de Bismarck à la deuxième guerre mondiale. La première génération est représentée par Selma et Emmanuel Oppner qui incarnent la bourgeoisie, ses modes de vie et ses traditions dans le quartier du Tiergarden qu’ils investissent au début du roman. La demeure illustre la puissance économique et artistique de ces grandes familles. La deuxième génération, celle des frères Effinger, montre l’ascension sociale et l’explosion de l’industrie sous la République de Weimar. Paul, travailleur infatigable et entrepreneur modèle, fonde avec son frère Karl les voitures Effinger. La dernière génération, celle des enfants des deux frères Effinger et des sœurs Oppner, s’ouvre aux idées nouvelles, socialisme ou féminisme, dans le contexte tragique de la montée du nazisme.

De nombreux autres personnages animent ce roman-fleuve aux multiples thèmes : l’oncle Waldemar, docteur en droit qui refuse d’abjurer la religion juive pour obtenir une chaire à l’université de Berlin, son neveu Théodor, grand amateur d’art et malheureux en mariage ou la belle Sofie, figure des années folles, qui embrasse une carrière artistique.

Vie quotidienne et événements politiques, sujets graves et futiles se mêlent, dans un rythme très particulier : l’amplitude propre à la saga s’offre au lecteur de manière fragmentée. Le roman prend la forme d’une mosaïque de courts chapitres qui scandent la lecture, comme le montre bien la succession rapide des titres consacrés à l’inflation galopante des années 30 : « 10 000 marks valaient 1 dollar », « 30 000 marks valaient 1 dollar », jusqu’à « 5 millions de marks valaient 1 dollar ». Cette fragmentation accentue la dimension tragique d’une temporalité dont l’issue conduira à l’extinction inéluctable d’une lignée.

De l’arrivée de Paul Effinger dans la capitale et sa réussite comme industriel jusqu’à l’exil ou la déportation des principaux membres de la famille, Gabriele Tergit saisit avec justesse l’évolution urbaine et économique de Berlin, la liberté des années 30, le développement de la crise financière et politique, la montée de l’antisémitisme et la diffusion des idées national-socialistes, à travers la bourgeoisie berlinoise. C’est tout un monde disparu qui est peint avec brio par la romancière dans ces quelques 900 pages qui se lisent d’une traite.

A.K.

Gabriele Tergit, « Les Effinger, une saga berlinoise », traduit de l’allemand par Rose Labourie, Christian Bourgeois éditions, 2023

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