LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Dec 31, 2018
Quatuor
Le titre original du roman, « The Sea Change », tiré de La Tempête de Shakespeare, place le récit sous le signe de la transformation. La narration s’ouvre à Londres avec une tentative de suicide (la secrétaire, amoureuse déçue) qui dévoile les failles du trio de personnages au cœur de l’intrigue : Emmanuel, célèbre dramaturge, sa femme Liliane, malade du cœur et incapable de se remettre de la mort de leur fille des années auparavant, et l’assistant, ami et presque fils Jimmy. Malgré le succès et les voyages incessants, le trio évolue dans un huis-clos figé qui ne sera rompu que par l’arrivée d’un quatrième personnage, Sarah. Son nom, symboliquement le même que celui de la fille perdue (et à qui, pour cela, l’on préfère donner le prénom d’Alberta), annonce-t-il la rédemption pour ces personnages à la fois égoïstes et si profondément humains ? Liliane, fragile et blessée, se comporte comme une enfant gâtée. Emmanuel recherche la diversion dans des amours sans importance ni lendemain, tandis que Jimmy subit sans ciller les caprices du couple.
Elizabeth Jane Howard analyse avec beaucoup de finesse les sentiments de ses personnages, au moyen d’une narration habilement menée. Telle une composition musicale, les voix du quatuor s’entrelacent par une succession de monologues. L’évolution des relations, très lissées en apparence, laisse entrevoir le tumulte de passions contenues, mais aussi la possibilité d’un changement. La fin du roman, empreinte d’une nostalgie très poétique, est particulièrement belle. La peinture de la Grèce, avec l’île d’Hydra en toile de fond dans une grande partie du récit, est à la fois très concrète, offrant de séduisantes images, et très intimiste. Elle nourrit deux portraits de femmes complexes, la jeune fille ingénue mais profondément juste et la femme blessée, dont la confrontation est d’une grande originalité. Avec une simplicité remarquable et par touches subtiles, le récit aborde des thèmes très riches : perte de la jeunesse, perte d’un être cher, difficulté de la création, liens père-fils. Il revêt ainsi une dimension existentielle tout en restant éminemment romanesque.
A.K.
Elizabeth Jane Howard, « Une saison à Hydra » (The Sea Change), traduit de l’anglais par Cécile Arnaud, Éditions de la Table Ronde, « Quai Voltaire », 2019, 448 p, réédition poche, « La petite vermillon », 2020.