LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Feb 5, 2024
Les années à rebours
Après la « Saga des Cazalet » parue en 5 volumes entre 2020 et 2022 et chroniquée dans nos colonnes, les éditions de la Table Ronde publient la traduction, par Leïla Colombier, du deuxième roman d’Elizabeth Jane Howard, « La Longue vue ».
On y suit quelques épisodes de la vie d’Antonia, mariée à Conrad Fleming et mère de deux enfants, Julian et Deirdre. Le roman est composé de cinq parties qui retracent des moments saillants dans la trajectoire du personnage féminin, de sa jeunesse à sa maturité, avec une particularité : le récit se fait à l’envers. Le roman s’ouvre en 1950, puis traite les années 1942, 1937, 1927 et 1926. Rien n’est laissé au hasard dans ce montage narratif original, constitué d’ellipses signifiantes et de liens subtils entre les différentes parties. Les phrases d’ouverture constituent des variations autour de l’incipit du roman : « la situation était la suivante » - formulation qui met l’accent sur la comédie sociale que constitue la vie de la bourgeoisie dans les années 50 en Angleterre. Seule la phrase qui ouvre la dernière partie change, marquant une rupture : elle revient en effet sur l’être profond d’Antonia, avant le vernis social qu’a déposé le mariage sur sa personnalité.
Le charme propre à l’écriture d’Elizabeth Jane Howard opère dès les premières lignes qui évoquent les préparatifs d’un dîner à Campden Hill Square. L’écrivaine excelle dans la peinture des personnages, associant une grande subtilité psychologique à la finesse de la description sociale. On retrouve les caractéristiques qui seront à l’œuvre dans la saga des Cazalet : le jeu sur les ellipses temporelles, la mise en scène sans concession du couple, le rapport entre parents et enfants. À travers le personnage d’Antonia, l’auteure insiste particulièrement sur le statut social des femmes et leur dépendance aux hommes. Mais elle ne cède pas à la simplification ou au manichéisme et dévoile toute la complexité des relations humaines en dressant un portrait noir et mélancolique du personnage masculin. En effet, et c’est là l’une des réussites de ses romans, Elizabeth Jane Howard réussit particulièrement bien à glisser d’un personnage à l’autre et à en rendre compte, parfois en quelques paragraphes seulement, avec une grande profondeur.
Souhaitons donc que les éditions de la Table Ronde poursuivent leur travail de traduction de cette œuvre d’une grande qualité.
A.K.
Elizabeth Jane Howard, « La longue vue », traduit de l’anglais par Leïla Colombier, éditions de la Table Ronde, « Quai Voltaire », 2023, 464 p.