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Rencontre avec Davy Sardou

Y.A.

Aug 31, 2018

Signé Dumas

Après le festival off d’Avignon, Davy Sardou est à l’affiche du théâtre La Bruyère dans « Signé Dumas », de Cyril Gély et Éric Rouquette. Il y incarne Auguste Maquet, le collaborateur littéraire d’Alexandre Dumas. Un face-à-face entre deux auteurs que tout oppose, dans les dernières heures de la Monarchie de Juillet. Rencontre avec un comédien élégant.
 
La Petite Revue. Qui est Auguste Maquet ?
 
Davy Sardou. Il fut le collaborateur artistique d’Alexandre Dumas. Il était ce qu’on appelait alors un « nègre littéraire » : il écrivait sans signer, pour le compte de Dumas, des feuilletons, des romans, du théâtre… Ils ont travaillé une dizaine d’années ensemble.
 
P. R. On a l’impression, dans la pièce, d’une collaboration très inégale…
 
D. S. Je ne dirais pas inégale. Dumas est la vedette et Maquet l’acharné, celui qui rend les choses possibles. Je les trouve assez complémentaires dans leurs personnalités, leurs attitudes. Je ne sais plus qui a écrit « Ils sont le recto et le verso des pages de Dumas » : c’est un vrai couple.
 
P. R. J’ai plutôt vu Maquet comme une victime.
 
D. S. Je ne le vois pas comme une victime. C’est lui qui est venu chercher Alexandre Dumas au théâtre, en lui disant qu’il adorait ses pièces et qu’il devait écrire plus de romans et de feuilletons. Maquet a proposé ses services. Ensuite, Dumas est devenu la vedette – si l’on peut dire – et Maquet s’est effacé. Cette collaboration est vue par Maquet comme une vraie association – ce qui n’est pas le cas de Dumas qui considérait à la fin Maquet comme un secrétaire.
 
P. R. La pièce se déroule en 1848 : les deux personnages sont en conflit.
 
D. S. Le conflit ne vient pas, au départ, d’une dispute artistique. En février 1848, ils sont au sommet de leur gloire. Ils n’arrivent même pas à fournir tous les chapitres, romans et pièces qu’on leur demande : c’est l’entreprise littéraire qui fonctionne le mieux en France ! Je pense qu’il n’y avait pas de problèmes à ce moment-là. Tout vient du conflit politique. Maquet craint que les idées politiques de Dumas ne leur fassent perdre leur travail : si Dumas reste monarchiste et que la république passe, il deviendra persona non grata. Maquet doit empêcher Dumas de dire ce qu’il pense pour poursuivre l’œuvre artistique. Évidemment, Dumas ne se laisse pas faire et répond à Maquet : « Pour qui vous prenez-vous ? Vous n’êtes qu’un larbin. »
 
P. R. Vous pensez que Maquet est républicain ?
 
D. S. En tout cas il n’est pas monarchiste : il défend l’opprimé. Maquet sait que c’est la fin de la monarchie : il le dit clairement. Maintenant, est-il vraiment républicain ? Je ne sais pas.
 
P. R. Selon vous, la position de Maquet n’est pas opportuniste ?
 
D. S. Maquet est carriériste. Il veut défendre sa position d’auteur. Il a peur de perdre sa place – peur que Dumas n’a pas. Dumas n’a peur de rien.
 
P. R. La collaboration des deux hommes se termine assez mal…
 
D. S. Malheureusement, oui. Mais ils ont continué à écrire ensemble jusqu’au procès. Maquet a perdu son premier procès contre Dumas, à cause d’une lettre que Dumas lui avait demandé d’écrire au tout début de leur collaboration, stipulant qu’il renonçait à tout droit. Sur le fond pourtant, je pense que Maquet a raison : la plupart des grandes idées, des grands romans et des grands feuilletons de Dumas lui doivent beaucoup.
 
P. R. Il semblerait que Dumas ne changeait rien à certains passages. Une anecdote révèle que Maquet avait volontairement très mal écrit un paragraphe, et que ce fut publié tel quel.
 
D. S. Bien sûr. Je pense que Dumas ne relisait pas du tout et lui faisait une confiance absolue. Cette histoire en est la preuve. Certains chapitres sont entièrement de la main de Maquet, et Dumas le sait parfaitement !
 
P. R. Vous parlez de « confiance absolue ». Vous ne parlez pas de paresse, ou d’un abus…
 
D. S. Non. Dumas avait, malgré tout ce qui est dit dans la pièce, une forme de respect pour Maquet. Il fallait qu’il ait confiance pour lui laisser terminer ses œuvres ou en écrire des chapitres entiers. Dumas a un ego surdimensionné : il n’aurait jamais accepté, je pense, qu’on critique son travail ou qu’on trouve un passage mauvais, ou moins bon. Dumas ne peut pas croire que Maquet se rebelle. Il est persuadé que quelqu’un l’a monté contre lui. Maquet répond : « Non, on ne m’a rien dit. Je vais juste révéler au monde que vous ne faites rien et que c’est moi qui écris. »
 
P. R. Et cela, selon vous, n’est pas une preuve de l’aveuglement de Dumas ?
 
D. S. Je ne peux pas croire que Dumas ait été aveuglé à ce point. C’est un personnage plus grand que nature. Mais à ce moment-là, il fait construire son château. C’est Citizen Kane : il fait son Xanadu. Il devient presque mégalo, est persuadé qu’il va devenir ministre si la duchesse d’Orléans prend le pouvoir… Il est ruiné, mais il s’en fout. Parce qu’il est Alexandre Dumas. Il est aimé du peuple : pour lui, c’est tout ce qui compte. Il a la foule avec lui, des millions de lecteurs, des admirateurs dans le monde entier : il est tout puissant. Maquet le résume joliment : « Vous êtes tellement persuadé d’être invincible que vous en avez négligé une règle essentielle : celle de regarder à vos pieds. » Dumas est un chêne, et celui qui est le plus près de lui menace de le faire chuter…
 
P. R. Selon vous, sans ce contexte politique, tout aurait continué ?
 
D. S. Oui. Je pense que sans ce conflit qui mène à l’humiliation de Maquet, la collaboration aurait pu durer encore très longtemps. Parce que l’orgueil de Maquet n’est pas mal placé : il aime l’écriture pour l’écriture. Je ne pense pas qu’il ait recherché la gloire en demandant son nom sur les œuvres. Plus que les millions, il demandait vraiment la reconnaissance de l’écriture.
 
P. R. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce rôle ?
 
D. S. Plusieurs choses. Dans une pièce, je regarde toujours l’évolution du personnage : d’où il part et où il arrive. L’évolution de Maquet est magnifique à jouer. Au début, c’est un homme effacé, assujetti à sa fonction de collaborateur, et il parvient finalement à retourner la situation. J’aime la bravoure du personnage, sa dévotion. J’aime défendre les faibles. Dumas et Maquet, c’est David et Goliath : c’est toujours plus intéressant de jouer David. Ensuite, j’avais vu la pièce à sa création [en 2003] et beaucoup admiré Thierry Frémont dans le rôle. Quand on reprend un rôle qu’on a vu jouer, on se demande : est-ce que je le fais pour me mesurer à ça, ou est-ce que j’ai vraiment une vision différente du personnage ? Je pensais pouvoir apporter quelque chose de différent à Maquet, ma sensibilité, sans dénaturer la pièce ni le personnage.
 
P. R. La pièce interroge : « est-ce celui qui signe qui est l’auteur ? » Pour vous, ce n’est pas une question que se pose Maquet.
 
D. S. Maquet se pose la question de défendre le droit des auteurs fantômes. Quand le conflit éclate, Maquet défend sa position et tente de se faire payer lorsqu’il est viré : Dumas ne le payait plus. C’est à ce moment-là que la revendication naît : Maquet doit se dire qu’il y a d’autres auteurs dans son cas. Il se pose réellement la question : est-ce la signature qui fait l’auteur ? À l’époque, il n’y avait pas de loi qui défendait le travail des collaborateurs. Maquet a été président de la SACD, il a fait beaucoup pour les auteurs fantômes. Je pense que certains droits sont encore défendus aujourd’hui. Beaucoup d’artistes, de vedettes ou d’hommes politiques n’écrivent pas leurs livres : ce sont des auteurs qui le font à leur place. Les vedettes vont faire les plateaux télé, les signatures, mais le travail d’auteur n’est pas d’eux. Maquet a œuvré pour faire reconnaître ce travail-là.
 
P. R. Que vous disent les spectateurs sur votre personnage ?
 
D. S. Beaucoup de personnes me disent : « On est content qu’il se rebelle, qu’il résiste. » La première demi-heure, on voit quand même un mec qui souffre. Le public, finalement, est du côté de Maquet : je m’y attendais un peu mais je suis content qu’il le voie comme ça. Même si on admire la flamboyance et le pouvoir de Dumas, on est toujours du côté des victimes : c’est comme le challenger dans un match de boxe.
 
P. R. Dumas n’apparaît pas tellement aimable dans la pièce.
 
D. S. Non. Il est quand même très imbu de lui-même, caractériel, péremptoire.
 
P. R. Un mot sur votre partenaire Xavier Lemaire…
 
D. S. Je ne le connaissais pas. Je l’ai rencontré à la première lecture de la pièce et j’ai vu rentrer Alexandre Dumas. Il est parfait pour le rôle. Je faisais aussi confiance à Tristan [Petitgirard, le metteur en scène] avec qui je n’avais jamais travaillé mais que je connaissais et que j’appréciais humainement. Ça fonctionne bien : Xavier est vraiment le personnage. C’est jouissif de jouer avec lui. On a une vraie réalité de couple. Et puis l’aspect physique m’aide énormément. Me retrouver face à ce colosse, moi, un peu étriqué, courbant un peu l’échine… Quand il se met face à moi en disant : « Je suis un chêne : je fais de l’ombre à tout le monde. » on y croit ! (Rire)
 
P. R. Y a-t-il un écueil dans votre personnage ?
 
D. S. Je n’aimerais pas tomber dans quelque chose d’hystérique. Maquet pourrait très vite devenir débordé par sa propre colère : j’essaie de ne pas aller là-dedans.
 
P. R. La mise en scène de Tristan Petitgirad est très classique.
 
D. S. Oui. La pièce est un huis-clos en temps réel : les unités de temps, de lieu et d’action sont respectées. Tristan voulait monter une pièce classique dans la forme, et donner de la modernité dans le jeu, dans l’énergie. On n’est pas en train d’expérimenter du théâtre contemporain, d’essayer de mettre de la vidéo là où il n’y en a pas besoin, de mettre un décor suggestif. On est dans le réalisme : ça me va très bien. Tristan est un metteur en scène très musical. Il travaille beaucoup à l’oreille.
 
P. R. C’est-à-dire ?
 
D. S. Tristan aime les sons, les voix, les musiques. Il a une vraie vision musicale de la pièce : le crescendo, le piano… Comme une partition. Le théâtre La Bruyère est parfait pour ça : je peux parler comme je vous parle en ce moment et le dernier rang m’entendra de manière impeccable. La sonorité de la salle est très bonne, ce qui nous permet de jouer toutes les gammes de sonorité en étant toujours audibles. Dans certaines salles, on serait obligés d’être dans une énergie vocale qui nous empêcherait de nuancer comme on le fait là. Il y a aussi une proximité agréable avec les gens. On le ressent très fortement dans les rares moments où l’on est face public durant le spectacle : je peux presque chuchoter et je sens le public avec moi.
 
 
Propos recueillis par Yann Albert en septembre 2018.
 
« Signé Dumas », de Cyril Gély et Éric Rouquette, théâtre La Bruyère jusqu’au 10 novembre 2018 (1h25).
 

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