LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Oct 15, 2022
Franck est un transfuge de classe. Issu d’un milieu modeste, soutenu par ses parents qui rêvent de le voir échapper au monde ouvrier, il a obtenu son baccalauréat, poursuivi des études supérieures. Frais émoulu de son école de commerce, le jeune homme obtient un stage au service Ressources Humaines de l’usine où son père travaille depuis trente ans. Son sujet d’étude : la mise en place des 35 heures. Alors que les négociations patinent, Franck, s’inspirant d’un cas étudié en cours, administre un questionnaire aux salariés de l’usine, court-circuitant ainsi les organisations syndicales.
Adapté du film éponyme de Laurent Cantet (2000), le spectacle d’Élise Noiraud est passionnant. Le texte mêle avec finesse la question des transfuges de classe et la violence de l’entreprise, évite tout manichéisme et, tout en renvoyant aux débats de l’époque (la réduction du temps de travail créera-t-elle des emplois ?), se révèle d’une actualité brûlante.
Après « Les fils de la terre » (déjà salué dans nos colonnes) inspiré du documentaire d’Édouard Bergeon, Élise Noiraud confirme ses talents d’adaptatrice et de metteuse en scène. L’émotion naît d’images simples mais d’une grande force : trois ouvriers répétant indéfiniment les mêmes gestes, un pas de danse partagé lors des retrouvailles de Franck avec ses anciens camarades de classe, un jet de tracts qui inonde peu à peu le plateau… tout fait sens, sans spectaculaire.
La distribution est parfaite et les doubles-rôles (notamment ceux de Julie Deyre, à la fois mère de Franck et déléguée cégétiste, ou de Sandrine Deschamps, tour à tour directrice des ressources humaines et sœur de Franck) très intelligemment dirigés. La scénographie (Fanny Laplane), la création lumière (Philippe Sazerat) et la création sonore (Baptiste Ribrault) participent à l’élégance de ce spectacle exigeant et accessible : un très beau moment de théâtre.
Y. A.
« Ressources humaines », Les plateaux sauvages, jusqu’au 22 octobre (durée : 1h30).