LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Feb 12, 2025
Paul Durand-Ruel (Christophe de Mareuil) a rencontré Claude Monet et Camille Pissarro lors de son exil à Londres en 1870. Depuis, le marchand d’art ne cesse de soutenir ces jeunes artistes qui révolutionnent la peinture. Non content de leur offrir une rente mensuelle pour qu’ils se consacrent totalement à leur art, Durand-Ruel achète à tour de bras leurs toiles (ce qui le conduira au bord de la ruine, et du naufrage de son couple) au grand dam de son épouse Jeanne (Christelle Reboul). Découvrant la dernière acquisition de son mari (un portrait de femme peint par Renoir), elle est horrifiée : « Elle n’a pas de doigts ! Elle me rappelle ma mère sur son lit de mort. ». Pour elle, ces tableaux ne sont que des « tartouillades ».
L’excellente idée de la pièce de François Barluet est d’aborder cette période clé de l’histoire de l’art à travers ce couple attachant (au prix, il est vrai, d’une petite entorse à la réalité, Paul étant déjà veuf à cette époque). Lui incarne un goût nouveau, sensible à cette peinture qui privilégie les « impressions » ressenties par l’observateur. Elle représente les résistances (nombreuses) d’un siècle attaché à la précision de la représentation picturale. À leurs côtés gravitent Armand Lagrange (Frédéric Imberty), critique du journal Le Constitutionnel et le jeune Auguste Renoir (Victor Bourigault, excellent) désespéré de n’être pas compris et de vendre si peu. Les débats artistiques et la violence des réactions sont très bien restitués. Sortant de la première exposition du mouvement impressionniste chez le photographe Nadar, un journaliste titre : « Rude journée pour les visiteurs ». Le Figaro conclut : « Ces gens sont fous, mais il y a plus fou qu’eux, c’est Paul Durand-Ruel qui les achète ».
Bien dialoguée, la pièce, mise en scène par Christophe Lidon, est servie par une musique (Cyril Giroux) très efficace et un travail vidéo (Léonard) d’une grande beauté. Christophe de Mareuil incarne ce marchand d’art visionnaire avec beaucoup d’élégance et Christelle Reboul, qui hérite sans doute de la plus belle partition, est tour à tour drôle et touchante. Un spectacle instructif (mais jamais didactique) et charmant.
Y. A.
« Les Collectionnistes », Théâtre Montparnasse (petite salle), jusqu’au 4 mai 2025 (durée : 1h20).