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« Le silence » au théâtre du Vieux-Colombier

Feb 12, 2024

Intérieur bourgeois. Une femme égarée (Marina Hands) traverse le plateau, s’affale sur son canapé, se sert un verre. Un homme (Noam Morgensztern) entre, chargé de quelques courses. Entre eux, un mutisme pesant. Seule présence réellement vivante, leur chien (Miki). Des cartons suggèrent l’imminence d’un déménagement.

Paradoxe de la soirée : le spectacle est aussi muet que sa note d’intention est bavarde. On pourra donc s’y référer pour tenter d’apprécier le projet de ses deux concepteurs, Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan.

Inspirée de l’œuvre d’Antonioni, la pièce est ainsi présentée comme un « manifeste sur la puissance expressive du silence » (comprendre : il n’y a pas de texte). Une vidéo en noir et blanc accompagne l’action (ou plutôt l’absence d’action), évoquant « l’intériorité des personnages » et ouvrant la voie à une « perception pluridimensionnelle et polysémique » (comprendre : on projette des images, chacun y voit ce qu’il veut). Défilent ainsi détails du plateau et symboles, parfois lourds ou pléonastiques (une robe de mariée flottant sur les rochers, métaphore d’un mariage en déliquescence, un gros plan sur des vers de terre en écho aux souffrances des protagonistes, etc.).
Ces choix artistiques, très cérébraux, sont finalement peu novateurs : pesanteur de l’implicite ou crise d’hystérie ont déjà été traitées, de manière plus saisissante, dans des textes de Jean-Luc Lagarce ou Thomas Bernhard. Et travailler sur les non-dits, les interstices et le temps suspendu n’est-il pas le propre de toute représentation théâtrale ?

Libre donc à chacun d’imaginer – ou non – sa propre histoire. Par exemple, celle d’un couple dont l’enfant est mort, plongeant parents et alliés (Julie Sicard et Stéphane Varupenne) dans l’hébétude. Si tel est le cas, le propos devrait être poignant. Mais en enfermant les comédiens dans leurs tourments intérieurs, Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan empêchent toute émotion de naître. Miroir du spectateur, Baptiste Chabauty erre en bordure du plateau, témoin muet et un peu atterré de cette vacuité. On le plaint.

Y. A.

« Le silence », théâtre du Vieux-Colombier, jusqu’au 10 mars 2024 (durée : 1h20).

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