LA PETITE REVUE
Critique littéraire et théâtrale
Nov 3, 2025
Une propriété agricole dans le sud-ouest, à la fin des années quarante. Sur le plateau, deux cabinets de toilette que sépare une mince cloison, et deux couples, ou ce qu’il en reste.
Côté jardin, Georges (Pierre-François Garel) et Louise (Léa Drucker). Ancien prisonnier de guerre, Georges a perdu toute illusion dans la vie et tente, vainement, de s’occuper des vergers qui entourent la maison. Louise, comme enfermée dans une vie sans projet, s’efforce de rassurer son mari – en rêvant d’un ailleurs. Côté cour, Sabine (Catherine Hiegel) et Pierre (Alain Libolt), les parents de Georges. Femme trompée, Sabine, obsédée par la mort et la fuite du temps, tyrannise son époux qui ne l’écoute guère. Hors scène, Marie, la sœur de Pierre, s’éteint peu à peu, veillée par une garde bossue (Catherine Ferran). Emmuré dans les non-dits, les regrets et les rancœurs, chacun interroge, à des âges différents, le bilan de sa vie.
Seule pièce de Claude Simon, « La séparation » (1963) est tirée d’un de ses romans, « L’herbe » (1958). Le futur prix Nobel de littérature considérait en effet la forme théâtrale plus apte que le roman à « dire la simultanéité des choses ». Le titre est polysémique : séparation du plateau en deux, séparation – peut-être – du jeune couple, mort prochaine de Marie que personne (sauf Louise) n’ose plus aller voir dans ses derniers moments.
Après une scène d’exposition un peu aride, le texte de Claude Simon, qui se déroule quasiment en temps réel, se révèle riche, parfois drôle (grâce au personnage de Sabine) et souvent profond. Les cinq comédiens, dirigés par Alain Françon, sont excellents. La mise en scène, sobre et précise, fait parfaitement vivre les deux appartements, grâce notamment au décor (imaginé par l’auteur) qui crée un saisissant effet de miroir entre Sabine et Louise.
Programmé dans un théâtre privé, cette production ambitieuse et stimulante mérite d’être découverte.
Y. A.
« La séparation » au théâtre des Bouffes-Parisiens, jusqu’au 4 janvier 2026 (durée : 1h50).