Des sauts périlleux, Matthieu Gary en a effectué des milliers, le premier à huit ans, à l’école de cirque de Champfleury. Aujourd’hui âgé de 35 ans, l’acrobate diplômé du Centre National des Arts du Cirque sait sa carrière de circassien bientôt terminée. Est-ce pour cela qu’il s’interroge au cours d’une « conférence » ludique, érudite et politique, sur ce qu’est un saut périlleux ?

Le salto arrière, rappelle Matthieu Gary, photographies d’Eadweard Muybridge à l’appui, se décompose en cinq étapes : prise d’appel, envol, point de suspension, rotation (qui fait perdre à l’acrobate ses repères dans l’espace) et chute, qui rétablit le contact visuel avec le sol. On découvrira plus tard la nomenclature des différents sauts, établie par Archange Tuccaro en 1564 dans son ouvrage « Trois dialogues de l’exercice de sauter et voltiger en l’air » (on parlait alors de « volte »).

Le récit se fait aussi plus intime, plus introspectif. Matthieu Gary a tant travaillé sur cet exercice qu’il peut l’associer à chaque moment de sa vie : l’enfance (la fierté du premier saut réussi), l’adolescence (le saut périlleux comme moyen de « décupler son capital sympathie »), et même la paternité (le salto carpé semblant très efficace pour capter l’attention de sa petite fille). Entre temps, ce savoir-faire est aussi devenu un moyen de gagner sa vie, un objet marchand presque comme un autre...

Convoquant Marcel Mauss (« Les formes que prennent notre corps au quotidien sont déterminées par la culture et surtout les intérêts de la société dans laquelle nous vivons. ») et Michel Foucault, Matthieu Gary, enfin, s’interroge : quel est le sens d’un saut périlleux dans notre monde de normalisation des corps ?

Au début du spectacle, le spectateur est averti avec humour : « Même après avoir vu cette conférence, ne tentez pas de faire un salto, ceci n’est pas une méthode ». Matthieu Gary nous offre en effet bien davantage : une réflexion originale sur la nécessaire communion du corps et de la pensée et la possibilité qu’un salto soit, finalement, un geste politique capable de « libérer l’imaginaire ».

Y. A.

« Faire un tour sur soi-même » (durée : 1h15)
8 et 9 janvier 2024, Le Tandem (Arras, 62)
31 janvier 2024, Université de Poitiers (86)
14 mars 2024, Le Cargo (Segré, 49)
18 au 22 mars 2024, Théâtre Universitaire (Nantes, 44).