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« Duras – Platini » au théâtre de la Reine Blanche

Nov 2, 2023

Hiver 1987. Michel Platini, dont la carrière professionnelle vient de s’achever, rencontre Marguerite Duras dans les locaux de Libération. Il s’apprête à publier ses mémoires, « Ma vie comme un match », dont le premier tirage (30 000 exemplaires) sera rapidement épuisé. Elle a donné son accord, avec pour seules conditions de « poser les questions » et « relire » l’entretien [1].

Difficile d’imaginer tandem plus improbable ! D’un côté, un champion populaire, trois fois sacré ballon d’or, de l’autre, l’auteure prolifique, lauréate du prix Goncourt en 1984, pour « L’amant ». Il confiera plus tard ne pas la connaître (« Je ne savais pas qui [elle] était, je n’avais pas conscience de son rayonnement intellectuel. […] Je n’étais pas impressionné. »[2]) et, quoi qu’elle en dise, on la sent davantage intéressée par l’homme que par le footballeur. Le dialogue, réécrit par la romancière [3], donne pourtant lieu à de vrais moments d’échange, notamment sur la finale de coupe d’Europe du 29 mai 1985, dans le stade du Heysel, au cours de laquelle périrent 39 personnes, et dont Platini fut l’unique buteur.

Le texte, mêlant plusieurs sources, débute par un long monologue du footballeur sur son dernier match, sa solitude, le traumatisme encore vif du Heysel. Puis vient l’interview, étrange, forcément étrange, tour à tour profonde ou anecdotique. Le sportif est parfois déstabilisé, incertain du sens des questions – mais jamais ridicule. Il confiera ensuite : « Si un vrai journaliste avait mené son interview de la même façon, je l'aurais accroché au portemanteau. ». La conversation, pourtant, lui permettra de se livrer, peut-être comme jamais auparavant. L’écrivaine l’a compris : « Il a dit des choses importantes. Il ne le sait pas encore tout à fait. » Le spectacle s’achève sur quelques mots de Platini au lendemain de la mort de Duras : « C'était une façon complètement différente de voir le sport. Ses questions étaient souvent touchantes. »

Très bien dirigés par Barbara Chanut, les deux comédiens ont l’intelligence de ne pas chercher à imiter les personnages réels. Le jeu de Neil Adam Mohammedi, délicat, donne à voir les hésitations, la fragilité ou l’amusement de Michel Platini et Cyrielle Rayet offre à Marguerite Duras une jeunesse et un allant bienvenus. Le montage des textes est habile, le rythme fluide. On sort de l’échange amusé, surpris, et touché.

Y. A.

« Duras – Platini », théâtre de la Reine Blanche, jusqu’au 26 novembre 2023 (durée : 1h20).

[1] « Platini - Duras Sublime, forcément sublime », Jean-Philippe Leclaire, L'Équipe, 9 août 2020.
[2] « Platini: "Mon match le plus dur" », Patrick Leroux, L’Équipe, 4 mars 1996.
[3] « 1987 Duras et Platini, un entretien complètement foot », Michel Becquembois, Libération, 18 avril 2023.

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